Performance opérationnelle : sur quels leviers miser pour la restaurer ?
Lors d’une mission de transition, certaines problématiques sont manifestes. En l’occurrence, je suis mandaté pour rétablir une performance opérationnelle très dégradée [1]. Toutefois, les donneurs d’ordre ne parviennent pas à s’accorder sur les objectifs précis de mon intervention. Le terrain d’exploration de cette mission de management de transition va se révéler stimulant !
Emmanuel Darcourt, manager de transition CAHRA
Les prémices de mon plan d’attaque : ranger l’espace avant de reconquérir la performance opérationnelle
Dès mon arrivée sur site, je suis stupéfait du désordre régnant dans certaines pièces de l’usine ! Avant d’entreprendre toute autre action, je décide de les vider entièrement. Dans une petite pièce, j’installe mon bureau et dans une plus vaste, une salle de réunion avec un grand mange-debout. L’espace dans lequel nous évoluons facilite, ou non, la réflexion ainsi que les capacités décisionnelles. Le fait de se tenir debout permet d’une part d’adopter une attitude proactive dans un contexte de réunion (le fonctionnement de notre corps et de notre esprit étant étroitement liés), d’autre part de réduire la durée de ces rencontres afin de les rendre plus productives.
J’observe en parallèle plusieurs éléments troublants :
- Du point de vue culturel, ni la sécurité ni le client ne sont au cœur des préoccupations.
- Aucune méthodologie de résolution de problèmes n’est employée.
- En termes d’animation managériale, aucun rituel type n’est mis en œuvre.
- Le projet d’entreprise est lui aussi aux abonnés absents [2].
Concrètement, le management n’active aucun des leviers classiques de performance opérationnelle. Cela explique que tous les indicateurs soient au rouge : nombre d’incidents de sécurité ; niveau d’absentéisme ; taux de service aux clients (de l’ordre de 50 %), de consommation matière ou encore de non-qualité.
Mon axe prioritaire : un espace de travail (War Room) pour réactiver la performance opérationnelle
Je fais ici référence aux techniques militaires utilisées par Winston Churchill durant la Seconde guerre mondiale. À noter : « mon » axe de travail concerne également les équipes de l’entreprise. Toutes les solutions seront co-construites avec elles !
J’organise notre nouvel espace de réunion de la façon suivante :
- Sur l’un des murs figurent les faits et les indicateurs – il s’agit du mur des observations ;
- Sur un second mur, un tableau blanc est mis en place pour résoudre les problèmes, réfléchir, imaginer, proposer ;
- Sur un troisième, j’organise l’action via un tableau de planification par service – un grand PDCA (Plan, Do, Check, Act) permettant de suivre les actions initiées et leurs résultats.
En termes d’animation managériale, j’ouvre chaque journée par une réunion de production. J’accompagne les équipes dans l’appropriation d’outils de résolution de problèmes et nous mettons en place un suivi des indicateurs dans une optique d’amélioration continue. Une analyse RH d’envergure est lancée : chaque « brique » ou compétence individuelle est-elle bien positionnée ?
En système Lean, la performance opérationnelle découle de l’équation suivante : la dimension managériale x les méthodes employées x la culture de l’entreprise. Je me focalise sur ces trois leviers pour progresser rapidement.
Mon axe de travail « de fond » : la culture et le projet d’entreprise
Ce front-là sous-tend la victoire sur tous les autres.
- En termes de culture d’entreprise, nous « incluons » davantage les clients dans l’entreprise et visualisons les informations qui les concernent afin de les traiter en équipe.
- Les équipements de sécurité sont harmonisés. Des règles élémentaires de bon fonctionnement sont instaurées – par exemple, le fait de ne pas intervenir sur des machines sans sécurité.
- Nous travaillons le ciment de la culture d’entreprise (le lien entre collaborateurs et équipes) via des rituels mis en place progressivement : des réunions de 20 minutes sur la sécurité ou la production et des réunions par service dans un second temps ; des réunions plus informelles et conviviales, avec des repas d’équipe à l’extérieur.
Reste à réinsuffler un projet d’entreprise. J’utilise une pyramide comme symbole ; l’objectif est de conserver de l’énergie disponible en fin de journée, après avoir agi sur les problèmes.
- Nous renforçons la sécurité physique, puis la sécurité émotionnelle par le partage de bonnes pratiques de travail en équipe.
- Nous œuvrons à redonner du sens en interrogeant la contribution au monde de cette entreprise, en cherchant à l’expliciter.
Tout cela est rendu possible par un travail effectué en amont sur les émotions. Cela passe par un questionnement adapté :
- « Par rapport à ce que vous avez vécu, que faudrait-il arrêter ?
- Que faudrait-il créer, amplifier, diminuer ? »
Des ateliers collaboratifs permettent de franchir un cap. Il s’agit d’aider les collaborateurs à co–construire leurs règles de vie commune.
- « Quelles sont les pratiques que vous jugez bonnes, ou inacceptables ? »
Leur vécu est ainsi clarifié et leurs émotions, exprimées, afin de développer une autre approche de leur métier, du sens de leur action.
Un impératif : le recrutement de nouvelles ressources pour pérenniser la performance opérationnelle
Du point de vue RH, si l’entreprise dispose d’une technicienne paie, le développement des compétences n’est pas pris en charge. Je demande le concours d’une ressource dédiée [3].
Je procède également au recrutement d’un ingénieur Amélioration de process ; dans le cadre d’une approche Lean, on estime que 80 % des problèmes sont issus des processus. À ma demande, une responsable Qualité-Sécurité-Environnement arrive enfin en renfort.
Avec le recul, mon feedback sur cette mission est de deux ordres.
1) Intervenir en situation critique s’avère stimulant car on réalise, en tant que manager de transition, à quel point nos multiples expériences et notre regard, notre approche différente des problématiques, s’avèrent clés pour restaurer la performance opérationnelle. En l’occurrence, tous les indicateurs ont progressé et cela s’est poursuivi à l’issue de ma mission.
2) Une fois la démarche de transformation initiée, il est très utile de favoriser la montée en cohésion, cohérence et compétence (3C) du système donneur d’ordres-managers-opérationnels, en s’appuyant sur une communication efficace et en procédant par réassurances successives et réciproques.
[1] Le site industriel où se déroule la mission de transition a été promis à la fermeture auparavant, un PSE ayant même été entamé.
[2] J’effectue ces observations lors de mes premiers contacts dans l’entreprise, avant même l’étape des interviews ; celles-ci vont permettre de réaliser un diagnostic systémique de la situation qui va nourrir un plan d’action. Je pose la question des rituels, constate qu’il n’y en a pas ; la question du projet d’entreprise, même constat. Il n’y a ni indicateur affiché ni suivi des tâches.
[3] Cette action de développement RH a été perçue par les donneurs d’ordre comme temporaire.